Chroniques

par laurent bergnach

Iliade l’amour
opéra de Betsy Jolas

Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse, Paris
- 12 mars 2016
David Reiland joue Iliade l'amour (2016), opéra de chambre de Betsy Jolas
© ferrante ferranti

Ancienne professeure d’analyse et de composition au Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris, Betsy Jolas (née en 1926) confie à l’institution la création de son nouvel opéra, Iliade l’amour – quatre représentations, dont une adaptée au public scolaire, entre le 12 et le 17 mars. Rappelons que l’auteur de L’ascension du Mont Ventoux (2002) [lire notre chronique du 13 mars 2009] a déjà fréquenté le genre lyrique, puisqu’on lui doit Le pavillon au bord de la rivière (1975) et Le Cyclope (1985), à destination du Festival d’Avignon.

Heinrich Schliemann (1822-1890) en est le personnage principal.
Fils d’un pasteur allemand passionné d’Antiquité, le futur voyageur se passionne dès l’enfance pour la mythologie grecque. À partir de 1856, il décide d’apprendre la langue d’Homère puis, une décennie plus tard, commence à la Sorbonne des études d’archéologies. Il poursuit néanmoins une carrière commerciale qui le rend milliardaire, l’autorisant à parcourir Ithaque, la patrie d’Ulysse, et à entreprendre plusieurs séries de fouilles. Malgré de nombreux reproches visant son amateurisme, l’homme finit par mettre à jour ce qui pourrait être le site de Troie, avec près de deux mille objets d’art conservés dans ses ruines.

Dix ans avant que le trésor troyen disparu à Berlin ne reparaisse exposé à Moscou, l’écrivain et metteur en scène Bruno Bayen (né en 1950) livre Schliemann, épisodes ignorés (1982). De cette pièce, créée au Théâtre national de Chaillot avec Antoine Vitez dans le rôle-titre, Betsy Jolas tire un opéra en trois actes, Schliemann, présenté à Lyon le 3 mai 1995. Remanié au siècle suivant, l’ouvrage est aujourd’hui un opéra de chambre de moins de deux heures, lequel réunit en dix tableaux seize musiciens et plusieurs langues (français, anglais, allemand, etc.), qui participent au dépaysement général.

En charge des récents Aliados [lire notre chronique du 17 mars 2015] et Wanderer, post scriptum [lire notre chronique du 25 septembre 2013], Antoine Gindt place sur un pont de navire ce voyage dans la mémoire, entre onirisme et réalité. Andromache y narre des épisodes de la vie de son père, à partir d’une autobiographie et de ses propres souvenirs familiaux : le décès tout d’abord, relayé par les médias internationaux, puis le choix d’une épouse grecque à partir de photos de jeunes filles, les épousailles, le souvenir d’un amour de jeunesse, pour revenir au deuil, avec les lamentations de la veuve pleurant telle Hélène la mort d’Hector.

Habillés par Fanny Brouste, six étudiants solistes entourent Julien Clément, robuste baryton associé au fantasque aventurier. On apprécie tout particulièrement les femmes : Marianna Croux (Sophia), au soprano dramatique ample et charnel, Anaïs Bertrand (Andromache), agile et présente, ainsi qu’Eva Zaïcik qui offre à Nelly voix riche et timbre coloré, en plus d’une belle composition. Troisième des quatre mezzos présents, Lucie Louvrier chapeaute un octuor vocal servant de chœur occasionnel. Parmi les hommes, on distingue les barytons Igor Bouin (Le photographe Spencer) et Guilhem Worms (L’appariteur), mais surtout le ténor Fabien Hyon (Le détective Haak), ténor clair, incisif et nuancé.

S’il s’apprête à jouer prochainement Dialogues des Carmélites et Eugène Onéguine (Saint-Étienne), David Reiland est familier des créations – The raven, monodrame d’Hosokawa [lire notre chronique du 10 février 2014]. À la tête de l’Orchestre du Conservatoire de Paris, sa lecture précise sert la partition tendre, énergique et aérée de Jolas, musicienne attachée à l’élégance mélodique qu’elle aime tant chez les aînés de la Renaissance – Dufay, Desprez et surtout de Lassus, transcrit pour vents par ses soins [lire notre chronique du jour], et dont on trouvera peut-être la trace dans Histoires vraies, suite concertante en création au Printemps des arts de Monte-Carlo, le 1er avril prochain.

LB